La Vieille Forêt

En repartant dépité de Creux de Crique, je regardais pensivement l'orée de la Vieille Forêt sur ma gauche. Elle avait une sinistre réputation dans la région, mais il en fallait plus pour dissuader le vieux Tom de partir à l'exploration.

Une excavation avait été pratiquée, à quelque distance de la haie, et elle s'enfonçait en pente douce dans le sol. Elle avait des parois de brique qui s'élevaient tout droit sur les côtés jusqu'à un endroit où elles se voûtaient pour former un tunnel qui plongeait profondément sous la haie et ressortait de l'autre côté dans la dépression.

Le Seigneur des anneaux : La Communauté de l'anneau, Livre 1 chapitre 6, J.R.R. Tolkien.

Je pris donc la direction d'une des entrées de la forêt à moins d'une heure de cheval de Creux de Crique. Sur le trajet, je repensais à tout ce que les Hobbits racontaient sur cet endroit. Selon eux, la Forêt était hantée et et il s'y passait d'horribles choses. Bien entendu, on retrouvait ce genre de récits dans bien d'autres lieux, et j'avais souvent pu constater sur le terrain que la plupart n'étaient que pures fadaises. Je parvins rapidement à l'entrée ménagée à travers une haute haie. Jusque là, tout paraissait on ne peux plus normal.

Le terrain s'élevait constamment et, comme ils avançaient, il semblait que les arbres se faisaient plus grands, plus sombres et plus épais. Il n'y avait aucun son sauf, de temps à autre, un égouttement d'humidité parmi les feuilles immobiles. Pour le moment, il n'y avait pas un murmure, pas un mouvement dans les branches; mais ils avaient tous le désagréable sentiment d'être épiés avec une désapprobation qui s'approfondissait jusqu'à l'aversion et même l'hostilité.

Le Seigneur des Anneaux, la Communauté de l'Anneau, livre 1 chapitre 6, J.R.R. Tolkien.

Après avoir traversé le passage souterrain, je me retrouvai à l'orée de la fameuse Forêt. Je suivis un sentier qui s'ouvrait devant moi et qui commença à grimper progressivement. Tout était similaire à la plupart des forêts, il n'y avait rien d'inhabituel. La végétation commençait à se densifier et les arbres étaient massifs et imposants. A dire vrai, peut être que je ressentais un certain sentiment d'oppression du fait de cette concentration d'arbres, mais rien d'alarmant en soi.

La lumière devint plus claire à mesure qu'ils avançaient. Soudain, ils débouchèrent des arbres et se trouvèrent dans un vaste espace circulaire. Il y avait du ciel au-dessus d'eux, bleu et clair à leur grande surprise, car en bas, sous la voûte de la forêt, ils n'avaient pu voir le matin se lever ni la brume s'évanouir. Le soleil n'était toutefois pas encore assez haut pour briller dans la clairière, bien que sa lumière se posa sur le sommet des arbres.

Le Seigneur des Anneaux, La Communauté de l'Anneau, Livre 1 chapitre 6, J.R.R. Tolkien.

Je finis par déboucher dans une clairière au sommet d'une petite colline. Si mes souvenirs étaient bons, il s'agissait de ce que les gens du coin appelaient la Clairière du Feu de Joie. On racontait qu'un jour les arbres avaient attaqué la haie et que les Hobbits en avaient coupé beaucoup pour se protéger. Ils les avaient ensuite brûlé à cet endroit. Bien entendu, je ne croyais pas un seul instant à ce joli conte. Je repris donc mon chemin.

Devant eux, mais à une certaine distance, se dressait une croupe verte, sans arbre, qui sortait comme une tête chauve de la forêt environnante. Le sentier semblait y mener directement.

Le Seigneur des Anneaux, La Communauté de l'Anneau, livre 1 chapitre 6, J.R.R. Tolkien.

Plus j'avançais et plus le silence grandissait. Les pas de Trotteur retentissaient comme des coups de marteaux. L'air était chaud et moite et j'étais trempé de sueur. Je commençais à comprendre la réputation qu'avait la forêt. Toutes les conditions semblaient réunies pour la protéger des intrusions. La Nature régnait ici en Reine et aucune influence extérieure n'était venue la déranger depuis des lustres. On se sentait tout petit face à cette domination écrasante. Je finis par arriver sans encombre au sommet d'une colline qui me permis d'avoir une vue d'ensemble dégagée sur les environs. Je repris le sentier après une brève halte.

Il leva ses yeux alourdis et vit, penché sur lui, un énorme saule, vieux et chenu. L'arbre paraissait immense; ses brances étalées s'élevaient comme des bras tendus, aux mains pourvues de longs et multiples doigts; son tronc noueux et tordu s'ouvrait en larges fissures qui grainçaient faiblement au mouvement des branches. Les feuilles qui s'agitaient devant le ciel brillant éblouissaient Frodon; il s'écroula et il resta étendu là où il était tombé dans l'herbe.

Le Seigneur des Aneeaux, La Communauté de l'anneau, livre 1 chapitre 6, J.R.R. Tolkien.

Je rejoignis bientôt un cours d'eau couvert de feuilles et de nénuphars, et bordé de hauts roseaux. Le sentier que je suivais le longeait et je continuais donc. Après quelques longues minutes, je finis par rejoindre un immense saule au feuillage imposant. Alors que je passais à proximité je me sentis étrangement las. Trotteur était soudain très agité et n'obéissait plus aux rennes. Une envie de dormir comme je n'en avais jamais ressentie m'étreignis. J'essayais de lutter mais j'étais impuissant face à cette lassitude implacable. Je commençais à dodeliner de la tête sur la selle de Trotteur quand j'entendis soudain une voix profonde chanter :

Holà ! Viens gai dol ! sonne un donguedillon !

Sonne un dong ! Saute ! fal lall le saule !

Tom Bom, gai Tom, Tom Bombadillon ! *

Je me réveillai progressivement au son de cette voix qui approchait par le sentier. Plus elle se faisait forte, plus je sortais de ma torpeur et plus Trotteur se calmait. J'avais maintenant hâte de voir apparâitre la personne qui avait une voix aussi entraînante, et je m'éloignai du vieux saule à sa rencontre.

* Le Seigneur des Anneaux, La Communauté de l'Anneau, livre 1 chapitre 6, paroles de Tom Bombadil.